jeudi 31 août 2023

Interlude

 J'aime

La fossette qui se creuse dans ton demi-sourire
Les lattés au réveil
Te battre à répétition au Scrabble
Les poèmes que tu m'écris
Ton esprit bohème
Tes petites attentions
Tes doigts sur les cordes de la contrebasse
Tes cordes et leurs promesses
La valse de nos corps endormis
Nos conversations à cinq heures du matin
Le caméléon en toi
Presque toutes tes chemises
La douceur de ta peau


J'ai peur

De tes silences et disparitions
De la difficulté des absences
De ces facettes de toi que tu me caches encore
De la force des mots (de ceux que tu lâches sans t'en rendre compte et de ceux que je retiens, mais qui sont déjà là)
De l'ancre nichée au creux de ton cou
Du quotidien
De nos horaires incompatibles
De ta vie déjà folle
Des départs incessants
De mon intensité inaltérable
De ton flou artistique constant



Je ne t'ai encore jamais parlé de ma phobie des draps partagés.


dimanche 27 août 2023

Juillet 2

Je ne saurais pas dire ce qui a mené à cette proposition, mais au détour d'une journée, je t'ai proposé de venir te faire massacrer au Scrabble. 

Entre mes vacances et les tiennes, nos agendas ont trouvé un terrain d'entente en après-midi.

Il y a eu trois parties.

Mardi. Jeudi. Dimanche. 

La première, nous sommes restés bien sagement chacun de notre côté du plateau où j'ai accompli ce que j'avais promis. Entre les mots échangés et les fous rires devant leurs promesses (punir, vraiment ?), on s'est raconté le fil des mois passés. Tu partais ensuite chez des amis, j'ai maladroitement ouvert plusieurs portes, comme s'il était possible d'étirer le moment, mais tu as bien fait mine de n'en voir aucune.

La deuxième, nous avons creusé davantage les territoires. Tu m'as parlé de ton départ prochain, tu m'as vu me défaire en petits morceaux devant les messages étranges de mon père, je t'ai proposé un road trip inattendu le mardi suivant pour tenir ma main le temps d'une visite et tu as dit oui tout de suite. Le plateau nous servait de frontières, nous en avons respecté les contours, mais il y avait déjà promesse de retour. 

La troisième a eu lieu en fin de soirée. Je revenais d'un souper, toi, du boulot. Je t'ai avisé que j'avais déjà bu, tu as choisi la tisane. Et il y avait dans ton refus tout les non-dits de mai. Je t'ai encore battu, nous avons ri. Je t'ai proposé un verre d'oubli, tu as accepté. Nous avons étiré les heures jusqu'à ce que mes yeux se ferment tout seuls et que je te demande de partir. Dans le couloir, j'ai traversé d'un coup la distance réglementaire et je t'ai embrassé avant que tu passes la porte. Un peu parce que j'étais pompette, un peu parce que j'en avais furieusement envie.

Je ne t'ai jamais dit que le mot tyran prend un y au lieu d'un i. 

mercredi 2 août 2023

Juillet 1

 Je t'ai écrit : « C'est fou comment tu te caches encore souvent au détour d'une pensée. » 

Tu m'as répondu que j'étais beaucoup plus présente dans les tiennes que je ne pouvais l'imaginer. 

*

Je t'ai envoyé une photo de mon canapé montréalais (mais tu ne l'as pas reconnu).

Tu m'as envoyé une photo de Tadoussac. 

*

Je t'ai dit que j'étais troublée par mon face à face avec ton sosie au parc Émilie-Gamelin. 

Tu m'as demandé si j'étais bien là (entre temps, tu étais revenu). 


Hiatus

 Il y avait mon verre dans ton sac. Pire. La tassé de café préférée de ma coloc, que j'avais apportée au parc parce que c'était la première sur laquelle j'avais mis la main. 

Fuck. 

De la terrasse sur le toit de J. où je m'étais réfugiée, seule avec le reste de la bouteille en attendant qu'il revienne de sa soirée après mon appel de détresse, je t'ai écrit que je devais la récupérer. Tu avais filé au concert, tu m'as demandé si je pouvais te rejoindre à Berri. C'était hors de question. Je t'ai répondu que tu n'avais qu'à passer la porter le lendemain, sur mon balcon. Tu as rétorqué que je serais partie. Je t'ai dit qu'il y avait plusieurs heures entre le lever du soleil et l'arrivée de mon taxi.

J'ai dormi avec J., cette nuit-là, me demandant à quel point c'est éthique, de pleurer sur une dates ratées dans les bras d'un ex.

Le lendemain, je me suis installée sur le balcon pour écrire. Je savais que tu passerais. Je ne voulais pas te rater. Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais je m'étais déjà écrasée au sol. Je ne pouvais pas souffrir plus, j'ai pensé.

Tu es arrivé. Tu ne me regardais pas. Tu as déposé la tasse sur la table, tu as dit que tu étais vraiment désolé et tu es parti. Point. 

Je n'avais même pas eu le temps de respirer. 

Et puis je me suis demandée : est-ce que j'avais vraiment attendu autre chose ?

Alors j'ai nettoyé la tasse et j'ai pris l'avion. 

Mai 2

 J'avais tissé le silence patiemment, m'étourdissant dans mes agendas remplis. Mais les dates n'étaient pas satisfaisantes et le trou de mon ventre fleurissait parfois de toi. Encore. Mais je ne craquais pas et j'en était fière. 

Et puis il y a eu ce samedi. Un départ mal calculé, oublié, une journée montréalaise de plus. Vingt-quatre heures à occuper alors que les ami.es étaient déjà tou.tes parti.es, occupé.es. Loin. 

Je t'ai écrit. 

« Es-tu libre ce soir ? »

Tu m'as dit que tu devais aller voir un spectacle, mais que tu préférais être avec moi. J'ai souri. On devait se retrouver au parc, on avait une heure, mais pas un lieu précis. « Je te trouverai. Je trouve toujours. »

J'ai senti l'apesanteur, mais j'ai décidé de repousser l'appréhension. Je me suis accrochée aux promesses de ce pique-nique partagé, à ma petite joie de te retrouver. 

J'ai peur des espaces publics remplis, l'angoisse d'être perdue, seule. J'ai quand même préparé ma part du festin, trouvé un Bixi. Je suis arrivée. Et j'ai attendu. Attendu sans être attendue ou cherchée puisque tu n'étais nulle part. 

Les messages se sont accumulés. Pas clairs. Tu as mis longtemps avant de me répondre, puis tu m'as demandé si j'étais déjà là sans me dire que toi, tu n'y étais pas. J'arpentais les allées en espérant te croiser, jalouse de tou.tes celles et ceux qui s'étaient déjà trouvé.es et célébraient, rosé en main, ce samedi de mai. J'ai fini par comprendre que tu étais seulement en route. Tu m'as ouvert des portes, proposé de partir. À ce stade, je tombais déjà, mais c'était ma dernière soirée et l'alternative était la colère solitaire sur mon balcon. Je suis restée, ai sorti mon livre pour faire parade. Les mots m'échappaient. J'espérais que tu aurais pensé à prendre un filet. 

Tu es arrivé avec une heure de retard. Tu avais apporté ton sourire et tes confidences. Entre deux bouchées, tu m'as confié avoir parlé de moi à ta mère, quand on se fréquentait. Tu m'as raconté ce que tu aimais chez moi. J'avais l'impression que tu m'ouvrais un accès vers ton coeur. Ça aurait été beau si je n'avais pas senti que tes mots flottaient. Étrangement. Je t'ai demandé si tu avais bu, ou pris de la drogue. Je ne te l'ai pas dit, mais ce soir-là, c'était aussi l'anniversaire de mon père. Et je retrouvais chez toi les signes de cette ivresse qui rend mou, moelleux, affectueux. Dangereux. Tu m'as assuré que non, que tu étais sobre. Trois fois.

Je tombais et tu jouais les funambules. 

Tu m'as rapidement proposé d'aller chez toi. Je me suis menti, j'ai repoussé loin derrière les fleurs ces drapeaux rouges que tu agitais dans tous les sens et j'ai dit oui. Parce que je suis une grande romantique, tu sais. Et je voulais que cette dernière nuit avant le grand désert soit un souvenir assez fort pour nourrir mes rêves de l'autre côté de l'océan.

Mais tu marchais croche. Et j'ai repensé à cette phrase : « Je devrais m'aimer assez. »

Au coin de ta rue, cette fois j'ai choisi l'affirmative. « Tu es saoul. » Impossible de nier, tu le voyais bien. Tu m'as expliqué que tu étais tombé sur des ami.es. Que tu avais oublié l'heure dans le plaisir des échanges dans cette langue qui est la tienne, mais pas la mienne. Que tu étais désolé. 

Je t'ai dit que je préférais partir. Je ne sais plus comment, mais tu étais sur le sol. Assis. Et tu m'as rappelée alors que je m'éloignais sur le trottoir, les yeux fontaines, déterminée à ne pas tourner la tête. 

Je ne m'aime souvent pas assez, mais ce soir-là, c'était suffisant pour atteindre le coin de rue avant de m'effondrer. 


Mai 1

 « Je voudrais m'aimer assez pour être capable de mettre fin à ça. »

C'est ce que j'ai dit à A. quand je lui ai expliqué le grand trou dans mon ventre. L'impression d'être l'adolescence à fleur de peau d'il y a longtemps, celle en attente, en équilibre, qui s'accroche à ce moment d'apesanteur avant la chute. Voire qui en redemande, si je me fie à tous ceux dont je fuis l'étreinte sans douleur. 

Quand tu es réapparu au bout de trois jours, comme si rien ne s'était passé, je t'ai dit que je préférais en rester là.

Tu as répondu que tu comprenais. 

J'avais envie de hurler devant ta reddition trop facile. 

Je me suis rappelée qu'il me fallait m'aimer beaucoup. Qu'il fallait au moins que cet amour soit plus fort que ma propension à la douleur romantique.