J'avais tissé le silence patiemment, m'étourdissant dans mes agendas remplis. Mais les dates n'étaient pas satisfaisantes et le trou de mon ventre fleurissait parfois de toi. Encore. Mais je ne craquais pas et j'en était fière.
Et puis il y a eu ce samedi. Un départ mal calculé, oublié, une journée montréalaise de plus. Vingt-quatre heures à occuper alors que les ami.es étaient déjà tou.tes parti.es, occupé.es. Loin.
Je t'ai écrit.
« Es-tu libre ce soir ? »
Tu m'as dit que tu devais aller voir un spectacle, mais que tu préférais être avec moi. J'ai souri. On devait se retrouver au parc, on avait une heure, mais pas un lieu précis. « Je te trouverai. Je trouve toujours. »
J'ai senti l'apesanteur, mais j'ai décidé de repousser l'appréhension. Je me suis accrochée aux promesses de ce pique-nique partagé, à ma petite joie de te retrouver.
J'ai peur des espaces publics remplis, l'angoisse d'être perdue, seule. J'ai quand même préparé ma part du festin, trouvé un Bixi. Je suis arrivée. Et j'ai attendu. Attendu sans être attendue ou cherchée puisque tu n'étais nulle part.
Les messages se sont accumulés. Pas clairs. Tu as mis longtemps avant de me répondre, puis tu m'as demandé si j'étais déjà là sans me dire que toi, tu n'y étais pas. J'arpentais les allées en espérant te croiser, jalouse de tou.tes celles et ceux qui s'étaient déjà trouvé.es et célébraient, rosé en main, ce samedi de mai. J'ai fini par comprendre que tu étais seulement en route. Tu m'as ouvert des portes, proposé de partir. À ce stade, je tombais déjà, mais c'était ma dernière soirée et l'alternative était la colère solitaire sur mon balcon. Je suis restée, ai sorti mon livre pour faire parade. Les mots m'échappaient. J'espérais que tu aurais pensé à prendre un filet.
Tu es arrivé avec une heure de retard. Tu avais apporté ton sourire et tes confidences. Entre deux bouchées, tu m'as confié avoir parlé de moi à ta mère, quand on se fréquentait. Tu m'as raconté ce que tu aimais chez moi. J'avais l'impression que tu m'ouvrais un accès vers ton coeur. Ça aurait été beau si je n'avais pas senti que tes mots flottaient. Étrangement. Je t'ai demandé si tu avais bu, ou pris de la drogue. Je ne te l'ai pas dit, mais ce soir-là, c'était aussi l'anniversaire de mon père. Et je retrouvais chez toi les signes de cette ivresse qui rend mou, moelleux, affectueux. Dangereux. Tu m'as assuré que non, que tu étais sobre. Trois fois.
Je tombais et tu jouais les funambules.
Tu m'as rapidement proposé d'aller chez toi. Je me suis menti, j'ai repoussé loin derrière les fleurs ces drapeaux rouges que tu agitais dans tous les sens et j'ai dit oui. Parce que je suis une grande romantique, tu sais. Et je voulais que cette dernière nuit avant le grand désert soit un souvenir assez fort pour nourrir mes rêves de l'autre côté de l'océan.
Mais tu marchais croche. Et j'ai repensé à cette phrase : « Je devrais m'aimer assez. »
Au coin de ta rue, cette fois j'ai choisi l'affirmative. « Tu es saoul. » Impossible de nier, tu le voyais bien. Tu m'as expliqué que tu étais tombé sur des ami.es. Que tu avais oublié l'heure dans le plaisir des échanges dans cette langue qui est la tienne, mais pas la mienne. Que tu étais désolé.
Je t'ai dit que je préférais partir. Je ne sais plus comment, mais tu étais sur le sol. Assis. Et tu m'as rappelée alors que je m'éloignais sur le trottoir, les yeux fontaines, déterminée à ne pas tourner la tête.
Je ne m'aime souvent pas assez, mais ce soir-là, c'était suffisant pour atteindre le coin de rue avant de m'effondrer.