mercredi 2 août 2023

Hiatus

 Il y avait mon verre dans ton sac. Pire. La tassé de café préférée de ma coloc, que j'avais apportée au parc parce que c'était la première sur laquelle j'avais mis la main. 

Fuck. 

De la terrasse sur le toit de J. où je m'étais réfugiée, seule avec le reste de la bouteille en attendant qu'il revienne de sa soirée après mon appel de détresse, je t'ai écrit que je devais la récupérer. Tu avais filé au concert, tu m'as demandé si je pouvais te rejoindre à Berri. C'était hors de question. Je t'ai répondu que tu n'avais qu'à passer la porter le lendemain, sur mon balcon. Tu as rétorqué que je serais partie. Je t'ai dit qu'il y avait plusieurs heures entre le lever du soleil et l'arrivée de mon taxi.

J'ai dormi avec J., cette nuit-là, me demandant à quel point c'est éthique, de pleurer sur une dates ratées dans les bras d'un ex.

Le lendemain, je me suis installée sur le balcon pour écrire. Je savais que tu passerais. Je ne voulais pas te rater. Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais je m'étais déjà écrasée au sol. Je ne pouvais pas souffrir plus, j'ai pensé.

Tu es arrivé. Tu ne me regardais pas. Tu as déposé la tasse sur la table, tu as dit que tu étais vraiment désolé et tu es parti. Point. 

Je n'avais même pas eu le temps de respirer. 

Et puis je me suis demandée : est-ce que j'avais vraiment attendu autre chose ?

Alors j'ai nettoyé la tasse et j'ai pris l'avion. 

Mai 2

 J'avais tissé le silence patiemment, m'étourdissant dans mes agendas remplis. Mais les dates n'étaient pas satisfaisantes et le trou de mon ventre fleurissait parfois de toi. Encore. Mais je ne craquais pas et j'en était fière. 

Et puis il y a eu ce samedi. Un départ mal calculé, oublié, une journée montréalaise de plus. Vingt-quatre heures à occuper alors que les ami.es étaient déjà tou.tes parti.es, occupé.es. Loin. 

Je t'ai écrit. 

« Es-tu libre ce soir ? »

Tu m'as dit que tu devais aller voir un spectacle, mais que tu préférais être avec moi. J'ai souri. On devait se retrouver au parc, on avait une heure, mais pas un lieu précis. « Je te trouverai. Je trouve toujours. »

J'ai senti l'apesanteur, mais j'ai décidé de repousser l'appréhension. Je me suis accrochée aux promesses de ce pique-nique partagé, à ma petite joie de te retrouver. 

J'ai peur des espaces publics remplis, l'angoisse d'être perdue, seule. J'ai quand même préparé ma part du festin, trouvé un Bixi. Je suis arrivée. Et j'ai attendu. Attendu sans être attendue ou cherchée puisque tu n'étais nulle part. 

Les messages se sont accumulés. Pas clairs. Tu as mis longtemps avant de me répondre, puis tu m'as demandé si j'étais déjà là sans me dire que toi, tu n'y étais pas. J'arpentais les allées en espérant te croiser, jalouse de tou.tes celles et ceux qui s'étaient déjà trouvé.es et célébraient, rosé en main, ce samedi de mai. J'ai fini par comprendre que tu étais seulement en route. Tu m'as ouvert des portes, proposé de partir. À ce stade, je tombais déjà, mais c'était ma dernière soirée et l'alternative était la colère solitaire sur mon balcon. Je suis restée, ai sorti mon livre pour faire parade. Les mots m'échappaient. J'espérais que tu aurais pensé à prendre un filet. 

Tu es arrivé avec une heure de retard. Tu avais apporté ton sourire et tes confidences. Entre deux bouchées, tu m'as confié avoir parlé de moi à ta mère, quand on se fréquentait. Tu m'as raconté ce que tu aimais chez moi. J'avais l'impression que tu m'ouvrais un accès vers ton coeur. Ça aurait été beau si je n'avais pas senti que tes mots flottaient. Étrangement. Je t'ai demandé si tu avais bu, ou pris de la drogue. Je ne te l'ai pas dit, mais ce soir-là, c'était aussi l'anniversaire de mon père. Et je retrouvais chez toi les signes de cette ivresse qui rend mou, moelleux, affectueux. Dangereux. Tu m'as assuré que non, que tu étais sobre. Trois fois.

Je tombais et tu jouais les funambules. 

Tu m'as rapidement proposé d'aller chez toi. Je me suis menti, j'ai repoussé loin derrière les fleurs ces drapeaux rouges que tu agitais dans tous les sens et j'ai dit oui. Parce que je suis une grande romantique, tu sais. Et je voulais que cette dernière nuit avant le grand désert soit un souvenir assez fort pour nourrir mes rêves de l'autre côté de l'océan.

Mais tu marchais croche. Et j'ai repensé à cette phrase : « Je devrais m'aimer assez. »

Au coin de ta rue, cette fois j'ai choisi l'affirmative. « Tu es saoul. » Impossible de nier, tu le voyais bien. Tu m'as expliqué que tu étais tombé sur des ami.es. Que tu avais oublié l'heure dans le plaisir des échanges dans cette langue qui est la tienne, mais pas la mienne. Que tu étais désolé. 

Je t'ai dit que je préférais partir. Je ne sais plus comment, mais tu étais sur le sol. Assis. Et tu m'as rappelée alors que je m'éloignais sur le trottoir, les yeux fontaines, déterminée à ne pas tourner la tête. 

Je ne m'aime souvent pas assez, mais ce soir-là, c'était suffisant pour atteindre le coin de rue avant de m'effondrer. 


Mai 1

 « Je voudrais m'aimer assez pour être capable de mettre fin à ça. »

C'est ce que j'ai dit à A. quand je lui ai expliqué le grand trou dans mon ventre. L'impression d'être l'adolescence à fleur de peau d'il y a longtemps, celle en attente, en équilibre, qui s'accroche à ce moment d'apesanteur avant la chute. Voire qui en redemande, si je me fie à tous ceux dont je fuis l'étreinte sans douleur. 

Quand tu es réapparu au bout de trois jours, comme si rien ne s'était passé, je t'ai dit que je préférais en rester là.

Tu as répondu que tu comprenais. 

J'avais envie de hurler devant ta reddition trop facile. 

Je me suis rappelée qu'il me fallait m'aimer beaucoup. Qu'il fallait au moins que cet amour soit plus fort que ma propension à la douleur romantique. 


samedi 15 juillet 2023

Avril 2

 On s'est vus quelques fois. Toujours au détour de nos agendas, souvent en fin de soirée. Je venais m'asseoir sur ton canapé de velours rouge, on échangeait les confidences, je faisais tranquillement la cartographie de tes tatouages. Si les matins dans ta chambre étaient toujours bruyants à cause de la vie en dessous, tu ne t'offusquais pas de mon mauvais caractère et tu l'adoucissait à coups de lattés. Je laissais sous l'oreiller mes doutes et mes frustrations, quand tu disparaissais de longues journées et que je ne reconnaissais plus la chaleur de la présence dans le toi de la distance. 

Un soir, tu m'as amenée dans un bar où je me disais que la moi adolescente aurait eu envie d'être, mais où la moi adulte cherchait ses marques. Puis tu m'as fait découvrir un chouette petit restaurant de tacos et les papillons sont revenus. C'était comme ça, avec toi. Jamais de juste milieu.

Ce soir-là, on a parlé de nos envies. Je t'ai expliqué que je ne cherchais pas qu'une baise, que les bénéfices amicaux étaient une case déjà cochée dans ma vie. Tu m'as dit que tu voulais prendre ton temps, mais j'avais cru déceler l'envie d'explorer dans la douceur de ta main sur la mienne. 

Sauf qu'un jour, ou trois, plutôt, tu es disparu. 

mercredi 12 juillet 2023

Avril 1

Cette fois, on a tenu un peu plus la distance. Les messages n'étaient pas réguliers, mais suffisamment pour nourrir le désir de se revoir. Je suis passée par Montréal en coup de vent sans possibilité, partie vers Québec le temps d'un contrat. Je t'ai écrit de ma chambre d'hôtel du 29e étage. Presque une invitation. Mais la vie est compliquée, faire six heures de route sur un coup de tête aussi. Le dimanche, j'avais épuisé toutes les parcelles d'énergie produites par mon corps. Pourtant, alors que je cherchais la motivation à aller prendre une douche avant de m'endormir, tu m'as proposé un plan. Je t'ai dit que je serais ennuyante puisque j'allais inévitablement m'endormir en quelques minutes, tu m'as répondu qu'il valait mieux savoir tout de suite si nous étions capables de bien dormir ensemble. J'ai ri.

Quand ma coloc m'a vue débarquer dans le salon toute prête à sortir, elle s'est étouffée. « Tu ne dormais pas ? » Visiblement non. Puis elle a sorti les griffes quand, au détour d'une conversation étrange (on ne se comprend jamais facilement par messages, toi et moi), tu es finalement venu me chercher dans une camionnette de tueur en série. 

– Garde ton téléphone proche, je te surveille, m'a-t-elle dit. 

Je n'aurais embarqué dans cette camionnette avec aucune autre date, je pense. Mais j'avais confiance. On a tout de suite ri, la complicité était de nouveau palpable. Tu m'as amenée chez toi, dans le bordel infini qu'est ton appartement. Tu as accusé ton coloc, mais il suffisait de voir l'état de ton bureau pour comprendre que le chaos est aussi ta façon de vivre. 

J'avais apporté du vin. On a oublié les heures. 

Et ce soir-là, on a juste dormi, même si l'envie se cachait sous chacune des caresses. Mais bien, dormi. Comme si nos corps se connaissaient déjà dans les postures et le partage équitable de la chaleur.

mardi 6 juin 2023

Mars

Il y aurait pu y avoir mille choses pour se mettre en travers de notre route. Parce que quatre mois, c'est long, et que je me nourris d'échange. Mais voilà, Tinder, Bumble et cie ne m'ont rien mis de croustillant sous la dent et en mars, alors que je revenais juste deux semaines, tu as répondu. Une fenêtre s'est ouverte. 

Quand je t'ai vu marcher en direction du bar, je me suis dit que je ne savais rien de toi, en vérité. Habituée à me nourrir des infos des applis et à tester la compatibilité, la complicité lors des dates, j'étais déboussolée de devoir jouer à l'envers. Je connaissais de toi la chaleur de ton sourire, ton humour, ton charisme fou, mais ni ton nom complet. ni ton âge, ni ton style, visiblement. Celui qui est entré dans le bar était étrangement le même toi qu'en novembre et pas. 

J'ai pris une grande inspiration et j'ai foncé. En verbalisant mon malaise, en riant de nos maladresses communes. 

J'avais prévenu : « J'ai un souper à huit heures. » Tu as renchéri : « Je veux participer à une assemblée citoyenne à 19h30, et je dois encore me rendre. »

Il y a eu une pinte. On s'est raconté nos vies, la tienne, nomade, la mienne, compliquée. Puis une deuxième, sans même qu'on se lance ces regards malaisés de « et toi, qu'en penses-tu, on reste ou on part, on se sent bien ou pas, on... ». À la fin de celle-ci, je t'ai demandé si nous étions dans une date. À la troisième, je me suis contentée d'un verre, quand même. Ça tanguait un peu. Je t'ai demandé si nous étions à l'étape de nous embrasser, tu as posé tes lèvres contre les miennes en guise de réponse. Il y avait dans ta main sur ma nuque le début de quelque chose. 

Je suis arrivée en retard à mon souper, tu as raté la réunion. 

Le lendemain, avec une amie, on t'a surnommé Kumbaya. J'ai dit : « Soirée parfaite, un peu hors du temps, mais sa vie c'est de l'air, il va où il a envie, vole d'un projet à l'autre, ce n'est pas ce que je cherche. » J'ai quand même admis que je te réécrirais, j'avais envie de visiter le fond de ton lit. 

mercredi 17 mai 2023

Novembre

On s'est rencontré en vrai. Je ne sais plus le nombre d'années que ça ne m'était pas arrivé. Pendant les cinq jours où nos contrats nous ont fait nous croiser, j'ai pris de plus en plus plaisir à tes brèves incursions dans mon territoire. 

Nous avons blagué sur une date loupé au Bureau en gros, les regards ont parfois été insistants, il y a même eu un moment où on s'est assis sur le sol, l'un devant l'autre, pour une discussion de trois minutes hors du temps. 

Tu ne correspondais à aucun de mes critères habituels, la fatigue qui s'abattait sur moi de jour en jour ne devait pas me rendre sexy, et pourtant. 

Il y a eu un rendez-vous raté en fin de soirée parce que je n'y ai pas vraiment cru et que j'ai choisi d'aller dormir, puis une demande de ta part lors de la dernière journée : laisse-moi un poème sur le frigo. 

On a échangé nos contacts et je t'ai envoyé deux poèmes. Un premier, un peu classique, un peu naïf, sur l'expérience des cinq jours. Un deuxième, un peu courageux. Une invitation claire. 

Tu as dit : « Je crois en nous. »

Puis il y a eu quatre mois de silence. 


vendredi 19 novembre 2021

 Il n'est pas quatre heures et je bois du vin que je ne trouve même pas bon.

Quelque part, de l'autre côté de l'Atlantique, une petite fille de douze ans s'est enlevée la vie. 

Il n'est pas quatre heures et je bois un fond de bouteille que j'aurais dû jeter. 

Cette douleur ne m'appartient pas. Cette culpabilité non plus. Et pourtant, c'est comme si toutes mes terminaisons nerveuses étaient au garde-à-vous. 

Je ne me souviens pas du visage de mon frère, mais je me souviens du sien.


mardi 22 octobre 2019

On a d'abord pensé qu'il fallait être aussi fous que la dernière fois. Puis que trop d'attentes tueraient nécessairement la soirée. Alors on s'est dit qu'on laisserait aller, qu'on verrait bien.

Il y a eu la bouteille de blanc, ma préférée. Puis les bulles apparues dans l'armoire du coin, ouvertes comme ça, pendant qu'A. discutait sur skype dans sa chambre et qu'on potinait autour de la table.

Puis la balade jusqu'au métro dans les feuilles qui crissent et qui craquèlent, le trajet souterrain ponctué de photos, le premier restaurant, trop plein pour nos estomacs qui criaient, la marche à l'envers dans les rires, la table à reconstruire à l'arrière du bar, les quatre poutines pour nous rassasier. Et je ne sais pas qui a proposé d'inviter A. à nous rejoindre, puis j'ai relancé M. pour qu'il quitte son canapé et vienne profiter de ma dernière soirée. Autour de la table, finie la soirée de filles, c'était la parité. Une parité constituée de gens qui ne se connaissaient pas, mais dont les secrets avaient circulé de bouche à oreille.

La femme de A. ment mal.
M. est aussi sorti avec une trans.
J. se questionne sur le potentiel amoureux réaliste de sa dernière conquête.

Il y a eu « Journey » beaucoup trop de fois, quelques silences, mais peu de malaises. De la drague pour faire rager A., des plans futurs absolument irréalistes et puis l'envie de changer d'air.

Départ en voiture, la main de M. sur ma cuisse. Envie de retraverser sur la Rive-Sud avec lui, envie de dormir. Mais il y a avait la piste de danse...

Et entre les paillettes, la Smirnoff Ice qui goutait mes 14 ans, les fuites ponctuelles, les danseurs insistants, les regards échangés, la soeur de la femme de, les éclats de rire, il y a eu le bonheur d'être là. Avec eux.

À deux heures, dans la voiture du retour, pendant que je me taisais pour éviter d'être passive-agressive, trop fatiguée pour me contrôler, on a planifié la soirée de Noël, avec des sandwichs pas de croute, Die hard et du champagne. Avec cette bande recomposée, éclectique, un peu folle.

Vivement novembre.

dimanche 4 août 2019

Me parler dans ma tête.
Seul endroit où la schizophrène a le droit de parole.
Le droit de raconter sa moitié de vie.
Ses souvenirs, ses désirs, ses attentes.
Refermer la porte dès que le monde extérieur entre pour éviter la collision.
Chut.
Ceci ne m'appartient que si peu...

dimanche 2 juin 2019

C'était la dernière soirée avant les trois prochains mois. Trois et mois et demi dans ma vie droite et carrée, loin de la liberté que je procure ces voyages, loin de la ville.

Ça a commencé doucement par un apéro, quelques rires, le resto, les grimaces sur les photos. Puis il y a eu la marche pour trouver un chouette bar, l'échec et la capitulation, la lumière tamisée, les toilettes collantes, les confidences. Même des pleurs parce que C., toujours. Puis le numéro de A. donné au barman, les délires partagés, le retour, la musique un peu, mais aussi la fatigue. Et comme je pensais que j'allais aller me coucher bien sagement, il y a eu le dérapage.

Danser sur la table. Rire aux éclats. Se déguiser en castor. Chanter à tue-tête sans connaitre les paroles. Sortir sous la pluie et râler. Prendre un shot dans un bar minable. Écrire à M. Hurler au chauffeur de taxi que je me fais kidnapper. Envahir la piste de danse du bar numéro 2. Rire encore. Oublier qu'il y aura un matin après la nuit. Faire venir un lift de Villeray. Rentrer aux petites heures.

Demain, quand les roues de l'avion se poseront de l'autre côté de l'océan, quand je rentrerai dans cette grande maison pour reprendre mon rôle de mère, de femme, j'aurai dans un coin de ma tête ces heures passées avec eux, cette folle insouciance, ces délires.

Et je tiendrai bon jusqu'en septembre. 

lundi 20 mai 2019

« Et quand le jour se lève, je reviens vers toi.  Ce que je reconnais, ce n’est que vide en moi » 

 Dès qu'il y a un espace dans ma tête, il y a toi. Formé de souvenirs déformés, d'images tapies dans le fond de ce cerveau qui ne veut garder que le beau. 

Le parc. Moi devant les phares de ta voiture. Ta voix au téléphone qui me fait trembler. Les baisers fougueux dans la voiture. Ta main qui me retient. L'odeur de ton corps. Les bêtises. Les attentions. Le lit king. 

Et tout le reste aussi. La tension. Les mots, durs. Les regards. Les fuites. Cette violence qui a toujours couvé. Qui est ce qui nous relie, nous attache l'un à l'autre. Nous attire. Papillons de nuit. 

« Comme une prémonition, on ne changera pas. On ne changera pas » 

Alors je m'enroule dans des chansons qui me rappellent que ce sera toujours la même chose. Tu l'as déjà dit, ce soir-là, dans la voiture, quand j'ai décidé de ne pas te faire la bise pour ne pas éveiller la tentation, que tu as attrapé mon bras pour me retenir au moment où je poussais la portière. 

« C'est nous. On ne changera pas. » 

dimanche 12 mai 2019

Dimanche

Je n'avais envie de voir personne.
Il y a eu hier, déjà, dans cette fête au bout du monde avec trop d'inconnus où je suis allée chercher au fond de moi-même ces sourires, ces phrases toutes faites, ces conversations à continuer.
Et c'est dimanche.
De ceux où j'ai juste envie d'être sous la couette ou enfermée dans mon bureau, à me balancer dans mon hamac et à lire sans me poser de question. Sans parler à d'autres humains sinon vous.
Mais voilà, il y avait après-midi jeux.
Et ensuite souper en famille.
Je me suis d'abord terrée, mais tu m'as trouvée.
Et j'ai fait une première tentative qui s'est soldée en retraite dans les toilettes. Je ne voulais pas gérer. Je n'en avais pas envie.
Pour une raison que je ne m'explique pas, les gens chez moi font monter le stress à un niveau terrible. Je veux être parfaite. Je veux être cette femme qui reçoit bien que je ne suis pas. Cette femme au foyer qui me fait horreur le reste du temps.
Et aujourd'hui mes envies ne cadraient pas avec ce qu'il me restait de sociabilité.
J'ai fait une deuxième tentative.
Je me suis calée dans un fauteuil, j'ai pris un verre et j'ai décidé de laisser couler.
Et doucement, les muscles se sont dénoués.
J'ai même ri.
Pris du plaisir.
Mais je ne mentirai pas : quand ils sont partis, j'ai poussé un soupir de soulagement. Et je suis allée me cacher dans ma couette imaginaire.

mardi 30 avril 2019


Ce soir-là, tu n’allais pas bien. Il y avait bien tes bras autour de moi et tes sourires, mais je sentais l’urgence d’engourdir quelque chose au fond de ton ventre. 
- Je veux encore un verre avant d’aller dormir.
Je n’ai rien dit mais j’ai noté mentalement le défaut. L’accroc. Je connais ce regard. Cet appel. Je ne le veux pas dans ma vie. Mais comme tu n’y es pas vraiment, comme tu ne t’y glisses que par intermittence, comme tout le reste pèse trop dans la balance, je n’ai rien dit.
Tu as ronflé. Fort. Et je t’ai poussé, mais ça n’a rien changé. 
Alors au milieu de la nuit, je me suis levée pour aller dormir plutôt sur le canapé. Dans le noir, incapable de trouver une couverture, j’ai agrippé mon manteau, emprunté une serviette et je me suis construis un nid pour les quelques heures avant le réveil.
Brutal.
Tu as allumé la pleine lumière sans avertissement, j’ai crié, tu as crié.
- Mais qu’est-ce que tu fais là ?
Dans le noir de la chambre, tu as pensé que ton réveil avait été assez subtil pour ne pas me tirer de mes propres songes et tu t’es glissé à pas de loup hors de la pièce. Pensant me laisser dormir. 
J’ai ri.
- Ton sens de l’observation est fantastique, vraiment.
J’ai pris ta main et je t’ai ramené sous les draps. Les matins m’appartiennent. 

mercredi 4 avril 2018

Je suis désormais encore plus une petite chose fragile.

Je ne sais pas si tu as réalisé qu'en mettant fin à ta vie, en décidant de foncer dans ce mur pour ne plus jamais souffrir, tu as creusé une faille dans le corps de tous ceux qui t'aim(ai)ent.

Une faille permanente. Qu'on peut couvrir de vêtements, de moments de rire, d'assez de bulles pour oublier, mais qui reste là. Qui pulse en moi. Boum. Boum.

Rationnellement, je comprends que ta souffrance devait être tellement grande que tu ne pouvais plus vivre avec.

Émotionnellement, ma colère n'a aucune limite.

dimanche 25 mars 2018

Il y a une semaine maintenant que la bombe a explosé.

J'attends impatiemment le moment où tu me diras que ce n'est qu'une blague.

Ce matin, mon réflexe a été de vérifier mon téléphone. Parfois, bien saoul, tu m'écrivais à trois heures du matin pour me dire que j'étais la meilleure soeur au monde.

Je me sens seule.

mercredi 21 mars 2018

4.

Déjà.

Tout ça vient par vagues. Il y a des moments où je me sens forte. D'autres où le monde s'écroule. Et d'autres encore où je me trouve dans des situations délirantes que tu aurais adorées.

Comme A. qui appelle des fleuristes parce que je ne sais plus comment nous est venu l'idée qu'un bouquet de fleurs en forme de moustache serait juste parfait pour toi le jour F.

Les gens lui souhaitent leurs sympathies, puis lui demandent le genre de moustache qu'elle souhaite. Et elle qui répond : « Une moustache laide et impressionnante. Il arborait fièrement une très laide moustache. » Et les gens rigolent, puis s'excusent de rire...

Tu aurais ri aussi. Je t'entends encore. Et ça me brise le coeur de savoir que tu ne riras jamais plus avec moi.

mardi 20 mars 2018

Jour trois.

J'apprivoise les mots.

Décédé.
Corps.
Exposition.

Je hurle en silence.

A. m'a dit : « Je voudrais te dire que ça passe rapidement, mais je ne te mens jamais, tu le sais bien. »

La douleur toujours aussi présente.
La colère aussi. Vague de fond qui revient quand je pense à tout ce que nous n'aurons pas. Ne vivrons pas. Ne partagerons pas.

Seule la vulgarité me donne les mots pour dire ce que je ressens.
La vie est une salope.
Je me répète, mais ça n'a pas d'importance.

lundi 19 mars 2018

Jour 2 après toi.

J'ai toujours cru que les auteurs exagéraient quand il est question de deuil. Je me rends compte aujourd'hui qu'aucun mot ne pourrait rendre le vide que tu as laissé. Que je passerais six cents pages à décrire des souvenirs, à documenter tout ce qui me rappelle toi dans mon quotidien.

Z. est maintenant la reine des grimaces de la famille et c'est d'une tristesse infinie.


dimanche 18 mars 2018

La vie est une salope.

Il n'y a pas d'autres mots pour ce vide immense qui s'est créé en moi. Pour cette douleur si hurlante dans chaque muscle de mon corps. Dans chaque cellule de mon coeur. Je ne pensais jamais pouvoir autant pleurer.

J'ai l'air une actrice de série B.

Et je suis en colère...

J'en veux à cet accident de m'avoir volé dix ans de souvenirs avec toi. De ne plus savoir à quoi tu ressemblais quand tu étais bébé. Quand je t'ai appris à lire. Quand tu m'as couru après dans le but de me tuer (anecdote que j'ai toujours trouvé croustillante et qui me semble amère à présent).

J'en veux à notre passion pour notre boulot, de celles qui font qu'on se pousse toujours trop loin.

J'en veux à ceux qui étaient près de toi et qui n'ont pas vu que tu était trop fatigué pour prendre la route.

J'en veux à celui qui m'a dit que tu étais conscient au moment où sont arrivés les secours parce que ça signifie que tu as vu la mort venir et que je n'ai plus que cette image en tête.

Tu étais mon modèle. Tu l'es encore. Tu resteras toujours mon étoile filante.

(Et si tu vois ce texte et que tu me connais sache que je ne veux pas de condoléances. Je veux juste que ce ne soit pas arrivé. Ne m'en parle pas.)